LA VOLGA
Un voyageur fit un jour voile vers l’Europe et arriva à Saint-Nazaire, sur les côtes françaises. Se tenant bouche bée devant l’estuaire de la Loire, il se dit “voilà assurément le plus grand fleuve d’Europe, il est immense !”. Remis de sa surprise, et faisant route vers le couchant, il finit par arriver dans la Forêt Noire en Allemagne d’où le Danube et ses 2857 kilomètres s’étirent jusqu’à la Mer Noire. Pris de vertige du haut de la cime du grand fleuve, le voyageur s’exclama avec plus d’émotion encore : “C’est le plus grand fleuve d’Europe, je ne peux pas en imaginer un autre qui serait plus grand et majestueux que celui-ci !”. Remis de ses émotions, mais infatigable, le voyageur se remit en route, toujours vers l’Est. Arrivé en Russie, à Volgograd, il tomba à genoux devant ce qu’il vit : la gigantesque Volga et ses 3500 kilomètres, berceau de la civilisation Russe – la Volga-Matushka, “Mère Volga”. “Voilà le fleuve des fleuves, je l’ai trouvé !” dit le voyageur, fébrile devant les berges du fleuve, au terme de sa pérégrination vers l’Est : il venait de trouver le plus grand et à plusieurs égards, le plus exceptionnels des fleuves d’Europe, qui commence dans la forêt boréale, côtoie les steppes d’Asie Centrale, et finit dans une mer intérieure bordée de sommets enneigés et de déserts…
La Volga, fleuve-arbre d’exception, prend sa source dans l’Ouest de la Russie et finit sa course dans la Mer Caspienne. On pourrait s’arrêter là dans la description, ce qui laisserait sur leur faim les plus grands amoureux des rivières. Cependant, là où la plupart des fleuves plongent leurs racines dans les mers et océans, la Volga, elle, apporte son eau dans une mer intérieure – non connectée à l’océan mondial – qu’elle contribue elle même à remplir, à hauteur de 80 % de son volume, d’où la représentation de la Mer Caspienne sur la carte, prenant plus de place que sur les autres de la série.
En voyant les choses sous cet angle, La Mer Caspienne est globalement une partie de la Volga elle même, un gros tubercule de 371 000 km2 et de 1000 mètres de profondeur. Bordée par 5 pays différents, avec à l’Ouest le Caucase verdoyant et ses immenses sommets (dont l’Elbrouz, culminant à 5642 mètres) et de l’autre, l’Asie Centrale et ses plaines désertiques, la Mer Caspienne incarne un prolongement naturel de la Volga et offre un spectacle géographique saisissant ainsi qu’une démonstration magistrale de l’effet de lac sur le paysage.
Pour en revenir au fleuve lui même, la partie aérienne de l’arbre, et ses paysages, on peut dire qu’il sont relativement sobres, peu saisissants, voire carrément linéaires et monotones. À l’inverse du Danube et du Rhône qui descendent en majesté des Alpes et de pics enneigés et glaciers grandioses, la Volga doit son flux de sève à la neige qui tombe sur une surface très lisse (qui culmine à 228 mètres) grande comme deux fois et demi la France, comprenant vastes plaines agricoles, steppes et forêts boréales. La Volga est un arbre poussant sur une terre très fertile : la plupart de sa surface est agricole tandis que les villes situées sur son cours sont d’importants centres industriels.
Quel arbre pourrait représenter au mieux la Volga ? Je pense au bouleau argenté, Betula pendula, espèce emblématique de l’Europe boréale et froide, poussant en petits bosquets, à basse altitude, ce qui reflète bien les paysages anthropisés de la Volga. Le bouleau est par ailleurs l’arbre national de la Russie et symbolise pour sa population, la grâce, la tendresse, la force et la beauté des femmes russes. Élément clé de nombreux contes et légendes du folklore russe, c’est dans les branches du bouleau-Volga qu’on retrouve l’identité d’un peuple entier.