LE RHÔNE

Moins long que la Loire mais bien plus puissant, le fleuve-arbre Rhône s’impose par son débit, sa force, sa stature. Colonne droite dans le paysage, il évoque l’architecture classique nés sur les rives méditerranéennes. Fleuve-arbre, bien sûr, mais aussi fleuve-civilisation : axe de commerce et d’influence, voie de passage de la Méditerranée vers le nord. Ses berges ont vu s’enraciner la présence grecque puis romaine —formant de fait un des socles historiques de la France.

C’est un arbre vertical et assuré, ancré dans les montagnes. Sa cime, côtoie les glaces : torrents alpins issus du glacier du Rhône et de celui d’Aletsch, le plus vaste d’Europe. Ces glaciers, sous pression climatique, délivrent trop d’eau, trop tôt. L’arbre est bien arrosé, trop peut-être.

Au printemps, les eaux déboulent dans le lit minéral des hautes vallées, dévalent vers les grands lacs alpins — Léman, Annecy, Bourget — vastes réservoirs d’eau et de mémoire glaciaire. Ce sont les nœuds nourriciers du Rhône, l’endroit où il se densifie, gagne en cohérence.

Puis vient la plaine, mais sans perte de puissance. Trop vigoureux pour qu’on le laisse libre, le fleuve est dompté par 19 barrages. En un siècle, 80 % de son cours a été artificialisé. Le sillon rhodanien produit un quart de l’électricité française. La Loire fut fleuve de châteaux, le Rhône celui des usines : moulins, manufactures, complexes chimiques et centrales nucléaires ont fleuri sur ses berges — un fleuve de la révolution industrielle et chimique.

À Arles, au sommet de sa puissance, le Rhône se divise en deux, s’épanche et s’apaise. Il atteint alors son delta : la Camargue, zone humide, marécageuse, à la croisée du sauvage et de l’industriel. Ici cohabitent flamants roses, rizières, salins, moustiques et raffineries. Le fleuve meurt là, magnifiquement, rejoignant la mer Méditerranée pour peut-être renaître ailleurs, sous une autre forme.

Fleuve-axe, le Rhône relie l’inconciliable : glaciers d’altitude, villages de montagne, plaines brumeuses, vignobles ensoleillés et delta méditerranéen. Il trace un sillon, au sens agricole du terme : incision longue, régulière, promesse de fertilité. Le fleuve est une promesse. Nous avons, comme des organismes épiphytes, poussé sur son tronc, vivant grâce à lui, sans forcément nourrir en retour.

Quel arbre pour incarner un tel fleuve ? Le Peuplier noir : arbre droit, rapide, adaptable, aimant les rives humides, utile et familier. Bois de peuplier pour les outils, les charpentes, les objets quotidiens — comme le Rhône, il a accompagné notre développement. Coévolutif. Symbiotique ? Pas toujours. Car si nous prenons beaucoup, que lui rendons-nous ? C’est en tout cas un arbre-fleuve robuste, industrieux, façonné par et pour l’humain, colonne d’eau et d’histoire.

Le peuplier Rhône, Populus Rhodanus

le fleuve-arbre au microscope :