Collections de notes sur la cartographie et la géographie
tentatives de partager, de comprendre ces deux disciplines de manière profonde et intime
Trouver l’inspiration
C’est sans doute la meilleure partie du processus cartographique : aller dehors, absorber les images, les odeurs, s’emplir les yeux des paysages et de leurs lumières !
Lundi de Pâques. Je pars rejoindre un ami à Pont-de-Buis, dans le Finistère, pour un tour à vélo, vers un endroit qui m’attirait depuis longtemps : un petit bout du magnifique Parc naturel régional d’Armorique, qu’il me tardait d’explorer.
Le long de notre chemin à vélo, qui passe sur les roches anciennes du massif armoricain, entre paysage bocager et zones humides, nous sommes dominés par le légendaire Menez Hom et ses 330 mètres (une véritable montagne dans ce paysage côtier). En bas, l’Aulne maritime forme des méandres dans lesquels je rêve de voir le mont se refléter. L’Aulne, c’est ce fleuve magnifique qui débouche dans la rade de Brest après un parcours ciselant les roches mille fois millénaires, un chemin doux, sinueux et brumeux—pour le plus grand bonheur des promeneurs—et que nous tutoyons ce jour-là: que nous traversons même ! Entre un pont en béton qui danse gracieusement au-dessus du cours d’eau, déjà saumâtre à cet endroit, et les maisons attachées à d’anciens moulins marémoteurs, le tout entouré par d’abrupts flancs boisés, le passage d’une rive à l’autre est mémorable. Nos cuisses en témoigneraient volontiers. Plus mémorable encore, ce qui nous attend de l’autre côté du fleuve alors que nous entrons bel et bien dans un autre microcosme—pour celui qui se place à l’échelle du pays—, la presqu'île de Crozon ! Jusque-là, je me félicite du chemin planifié et mon ami est ravi. Ouf ! Le comble du cartographe serait de nous emmener sur un chemin ennuyeux ou impraticable.
C’est à la moitié du trajet que ce moment arrive, avec un chemin très étroit et raide difficile, même à pied. Désolé, et devant l’impasse, je propose de se lancer, juste pour voir. La magie du lieu nous empêche de regarder derrière nous : arrivés dans une chênaie tempérée, luxuriante, touffue, dense, humide–très humide !– nous sommes en extase devant ce sanctuaire végétal où mousses et chênes croissent et emplissent l’espace d’un vif vert printanier, étouffent le son de la pluie qui a commencé à tomber. La forêt fait partie d’une réserve biologique intégrale, la nature exprime sa pleine potentialité dans ce bois au bord de la mer, sur un flanc raide comme on en trouve tout autour de la rade.
Arrivés plus loin, un sillon sédimentaire fend la mer, d’autres sentiers raides nous attendent. Le village de Landévennec nous accueille avec ses deux abbayes, son cimetière de navires de la Marine et sa vue imprenable sur l’Île de Terenez, qui émerge de l’Aulne, dans son tout dernier méandre.
Sur la route, bien des idées nous viennent : cartes pour moi et photos pour mon camarade de route qui se passionne pour les animaux et les espaces naturels, qu’il prend en photo et filme…
Vivre en géographie
“En Bretagne, il pleut tout le temps". Oui, il pleut très souvent, à fortiori à proximité de la mer, sur la côte. C'est cette proximité à l'océan, que les gens convoitent tant, pour y passer des vacances ou bien pour y habiter, qui est la raison même de ce climat dont ils se plaignent. Paradoxal non ? Pourtant les climats font – au moins en partie – les terroirs alimentaires et l'alimentation (dont on se régale) mais aussi les paysages, (qu'on aime visiter) les vêtements (qu'on porte tous les jours) et bien d'autres choses qui ont infusé les cultures humaines pendant des milliers d'années. En Bretagne, il pleut tout le temps". Je ne compte plus les fois où j'ai entendu cette phrase légèrement agaçante à propos de la Bretagne, sa pluie, sa "grisaille", ou bien au sujet d'autres régions françaises, venant de gens dénigrant leur lieu de vie, en le comparant à des lieux typiquement prisés, souvent le sud de la France, réputé ensoleillé et plus chaud.
Image : "Carte scolaire de 1960 Editions MDI » Climat de la France [métropolitaine]
Je parle ici du climat, mais ce n'est en fait que la partie émergée de l'iceberg de cette rupture entre les gens et leur lieu de vie, qui me brise le cœur quand j'entends le peu d'amour, le mépris même, qu'on certaines personnes pour les paysages de leur enfance, des lieux façonné par un climat, par les mains de leurs ancêtres, par des phénomènes géographiques magnifiques, magiques presque. Pour en revenir à la pluie : comment ne pas s'extasier devant les forêts de l'Ouest de la France, chênaies côtières, hêtraies enchantées, massifs de fougères gigantesques et troncs moussus, couverts d'énormes mousses d'un vert qui témoignent à elles seules de l'humidité quotidienne amenée par l'atmosphère, depuis la mer ?
Et que dire de la culture des pommes pour le cidre, des tourbières humides et de leurs faunes, flore unique, du grain qu'on voit arriver au loin, qui trouble l'horizon et qui danse dans le ciel anthracite ?
Chaque pluie qui arrive est un cadeau à la terre, une envoyée de la Mer et une promesse pour les humains. Un territoire, une "géographie" en somme, c'est un package : on ne peut pas encenser la mer et les forêts mais maudire la pluie. Il faut embrasser le tout pour aimer et comprendre son lieu de vie.
Bref, il est temps de vivre en géographie, sa géographie !
Se laisser guider par le pourquoi pas ?
Je vous propose ailleurs sur mon site toute une galerie, un herbier même, pour voir les fleuves comme des arbres, permettez moi de revenir à la charge ici !
Alors que je faisais mon tour quotidien sur un site internet d'imagerie satellite, j'ai trouvé une pépite sur les rives du Yukon. Non, je ne parle pas de pépite d'or, celles qui ont attirèrent des orpailleurs par centaine de milliers au 19e siècle, mais de ce delta absolument prodigieux, s'épanchant paisiblement à l'ouest de l'Alaska.
Qu'est ce qu'on voit dans cette image ?
La réponse géographique :
c'est un delta, lieu où le fleuve, le Yukon ici, finit son cours et charrie tant de sédiments dans ses eaux qu'en se déposant, ces derniers finissent par former une vaste plaine alluviale très, très plate, amenant le fleuve à prendre des centaines d'embranchements parvenant –ou pas– à la mer. La mer de Bering que l'on voit ici, a des marées assez faibles pour permettre au fleuve et son puissant flux de prendre le dessus et dicter la manière dont il voit le paysage. Pour aller plus loin, ces deltas sont des zones humides et stockent des quantité de carbone assez phénoménales : on ne rigole pas avec ça.
Image Landsat 8
La réponse géopoétique :
C'est un delta, lieu où le fleuve Yukon, parvenu a maturité, plonge ses racines (ou touche de sa cime, c'est au choix) dans les mers froides et salées de l'Arctique. C'est l'achèvement d'un périple palpitant pour l'eau, captées par les petits rus et ruisseaux des montagnes, ces capillaires en périphérie des organes du fleuve, qui rejoint la mer. Cette eau est saturée en sédiments et en oxygène si bien que le parallèle avec la sève élaborée de l'arbre, celle amenant vers les racines les sucres produits par les feuilles, devient trop tentant pour ne pas l'évoquer. Au cœur de la Nature, dans son ADN, son mode opératoire, il y a une constante : ce mélange invincible de diversité, de multiplicité, de profusion et d'opportunisme.
C'est ce qui se passe quand on met une plante en terre : la plante pousse, son réseau bientôt fractal de racines et capillaires captent tout ce qu'il est possible d'atteindre – c'est la même approche avec les pollens– tout comme la rivière qui, dès qu'elle le peut, change de cours, s'étend, se divise, se tord se contorsionne. Certains bras de rivières se créent si l'occasion se présente, ne vont nulle part et meurent : la nature s'épanouit dans le "peut-être", "l'aléatoire" et le "pourquoi pas", principes que les rivières et les plantes suivent à la lettre.
Et puis franchement, cette image Landsat 8, en plus d'être magnifique sur tous les points de vue, elle fait vraiment penser à un arbre, non ?
Hommage à Humboldt
Ce nom ne vous dit peut-être rien : il a été un peu oublié du grand public mais il était celui d'un des plus grands géographes, naturalistes et explorateurs de tous les temps.
Je parle bien sûr d'Alexander Von Humboldt, né à Berlin en 1769, qui a inspiré Darwin, Henry David Thoreau, Wolfgang Von Goethe, Haeckel et bien d'autres, je parle de cet homme dont on retrouve le nom chez plus de 400 espèces et plus de lieux sur Terre, – et même sur la Lune –, que n'importe qui d'autres, y compris la Reine Victoria et James Cook, c'est dire l'exploit.
Et pourtant, ses idées et sa vision révolutionnaire de la Nature sont devenues de tels socles dans notre manière de concevoir le Monde qui nous entoure, de tels acquis, qu'on en a oublié le créateur ! Il est en fait carrément à l'origine du concept que l'on place derrière le mot "nature" aujourd'hui. Si son nom est aujourd'hui un peu absent des esprits, ses idées et sa pensée sont partout.
Image : Alexander von Humboldt's vegetation of the Andes
Il est le premier à considérer la Nature comme une force mondiale avec des zones climatiques réparties de manière géographiques sur le globe, avec des biomes végétaux courant le long d'étroites bandes géographiques, une pensée radicale à l'époque, à l'origine du concept d'écosystème. Il est aussi l'inventeur des isothermes (les lignes de pression et de températures, à la base de la météorologie), des zones climatiques... Il est le premier à théoriser l'interconnexion des phénomènes sur Terre, y compris celui du changement climatique qu'il prédit et considère comme une menace il y a plus de deux siècles.
Humboldt voulait éveiller un "amour de la Nature", sentiment qu’il estimait nécessaire à sa protection, à une époque où l’exploitation des ressources commençait une accélération qui n’a pas fléchi depuis.
À une époque où les meilleurs scientifiques s'échinaient à découvrir des lois universelles cantonnée à une discipline, Humboldt, un des dernier polymathes de l’Histoire, maintenait que la Nature devait être vécue et expérimentée par les sentiments. Marcheur infatigable, il n’était pleinement stimulé et heureux que lorsqu’il explorait le Monde naturel, qu’il adorait et passa sa vie à étudier.
Il y a deux siècles, Humboldt gravissait inlassablement des volcans équatoriaux enneigés, portant avec une vigueur inégalée des instruments de mesures sur son dos, écrivant des pamphlets anti esclavage et protestait contre une vision du Monde régie par la hiérarchie des races et une nature à la disposition des humains.
Je pense qu’il est grand temps de réhabiliter le nom de Humboldt et de le refaire connaître chez chacun : lire sur sa vie a sans doute changé la mienne.
30 mètres sous les mers
J'ai eu le plaisir de partager avec vous depuis deux ans un bon nombre de cartes bathymétriques ou juste marines mettant les mondes sous-marins à l'honneur, et de toujours recevoir un accueil enthousiaste à leur sujet, merci ! Mais j'étais toujours un peu frustré de ne pas pouvoir ajouter à ces cartes des photos, comme j'ai l'habitude de le faire dans les lieux que je découvre à vélo, à pied et que je cartographie ensuite pour en extraire ce que j'ai vu ou trouvé beau, ce qui m'a ému.
Car, à l'ère de la donnée, du "cloud" (celui qui est sur un serveur, pas dans le ciel) et de la technique informatique, ne l'oublions pas : la géographie se ressent, se voit, se touche. La géographie, c'est plus que la somme des lieux qui nous entourent et des phénomènes qui y opèrent de manière conjuguée. La géographie c'est aussi une émotion, une atmosphère, un sentiment (le fameux "sentiment géographique" comme dit joliment mon ami géograhe Damien Deville) et je suis très heureux de pouvoir vous en partager un petit bout aujourd'hui, que je suis allé chercher à 30 mètres sous la surface dans une épave bretonne.
Les photos sont modestes : prises avec un appareil photo compact des années 2000, avec une lumière verte et limitée à cette profondeur mais pour une première fois, je m'en satisfait et j'espère qu'elles témoignent de la beauté des fonds marins qui sont à deux pas de nos lieux de vie mais que nous ignorons, par méconnaissance souvent. Ils sont sensibles et évoluent, dans un sens peu favorable, malheureusement.
Les épaves sont aussi un symbole irrésistible : on peut y voir les piteux et romantiques vestiges d'un fier navire qui flottait jadis sur l'eau, gonflé d'arrogance, comme défiant l'océan. Ils sont aussi une belle leçon de géographie : l'océan finit par gagner et le bateau, autrefois utilisé pour le commerce ou pour la guerre, est là : il gît au fond, sans autre fonction qu'attirer la vie, qui prolifère sans vergogne, s'épanouit sans complexe dans cette alliance formée entre le vivant et cette petite partie du monde humain, qui nous a été pris par la mer. Je lui laisse.
Ce qu'on peut voir sous l'eau est une expérience de vie. Ce qu'il y a de plus grisant ? Approcher ces espèces animales et végétales, évoluer dans leur milieu, cette eau chargée en particules, éclairée d'une lumière lointaine, être en contemplation dans cette situation de vulnérabilité où elles sont chez elles. Pieuvres, phoques, homards, seiches, congres, langoustes, vieilles, sans parler des nudibranches, spirographes, araignées, forêts de laminaires, éponges, et galathées...
Mais ne prenez pas ce texte pour parole : allez plonger, marcher, explorer !
Changer de perspective pour changer le Monde ?
En cartographie, la mer est souvent la grande oubliée, voire la victime des cartes modernes – bien qu'elle occupe plus de 70% de notre planète, c'est plutôt ironique – tantôt coupées en deux (victime probable : l'Océan Pacifique) tantôt écrasée, déformée et découpée (victime probable : les océans polaires), les océans apparaissent distincts et isolés. Dur, dur de trouver des cartes qui font la part belle à la Grande Bleue.
Il existe quelques remèdes à cela, comme centrer la carte du Monde sur l'Océan pacifique (on coupe alors en deux ce qui se trouve au sud de l'Afrique, un moindre mal) ou alors on utilise une projection cartographique polaire, pour pouvoir représenter fidèlement ces masses d'eaux glacées qui régulent le climat et sont le sujet de tant d'enjeux aujourd'hui (la Terre apparaît alors vue "d'en haut" ou "d'en bas").
Hélas, ces projections sont imparfaites (spoiler : elles le sont toutes) mais il y en a une qui l'est peut être un peu moins que les autres quand il s'agit de représenter non pas les océans mais l'océan : la projection de Spilhaus.
Cette curiosité, ce petit bijou de lignes et de calculs est aussi mathématique que cartographique – car ne l'oublions pas, la cartographie, c'est avant tout des maths, auxquels nous cartographes modernes pouvons échapper grâce aux ordinateurs – et ce n'est pas un hasard si cette projection fut le fruit d'un brillant océanographe et géo-physicien sud africain et américain, Athelstan Spilhaus (1911-1998). Mise en carte, elle montre l'océan sans rupture et comme un vaste espace d'échanges : échanges maritimes, échanges culturels, échanges thermiques, échanges de biodiversité...
Les terres, reléguées au second plan, sont largement déformées dans les coins de la carte : les rôles s'inversent ! Les terres deviennent des marges, des frontières. Je trouve amusant qu'en habitant au bord de l'eau, spécialement à Brest dans mon cas, considérer la mer comme le début de quelque chose, une ouverture, et non pas une fin (fin de la terre, fin de la France) semble presque naturel, et souhaitable !
Ici, je vous propose une donnée toute simple mais fondamentale : la température de surface qui prend forme, une forme rendue unique par la projection !
Ces paysages qui nourrissent l'amour de la géographie
On me demande souvent "comment as-tu eu envie de devenir cartographe ?" Question légitime dans notre époque un peu désenchantée, notre époque où les cartes les plus utilisées, et de très loin, sont numériques, strictement utilitaires et algorithmiques : google maps, waze...
Il y a en plus dans cette question un certain étonnement sous-jacent, pour les mêmes raisons : pourquoi devenir cartographe quand tout est déjà cartographié ou presque.
Rappelez-vous : les cartes que 99% des gens utilisent au quotidien sont dans leur smartphone et elles contiennent à peu près tout ce dont nous avons besoin : besoins de bases (supermarchés, lieu de travail, école des enfants..), les adresses de nos amis, nos lieux de loisirs et plus encore. Pourquoi aller cartographier autre chose ?
À fortiori, pourquoi devenir cartographe ?
Les paysages. La nature. Le monde extérieur. Le vent. Les gens. La pluie. Les vagues. Les cimes embrumées. Les villages et leur bocage. Les étangs de son enfance. Cette église perdue dans une forêt. Ce moment où tu as pris le mauvais chemin en rando mais tu veux quand même continuer. Cette extase devant un point de vue où le paysage, la Terre entière on dirait même, s'offre à ton regard... Cette excitation de parcourir du doigt ton futur itinéraire de voyage sur une carte en papier et l'envie de faire la tienne, à -ta- manière quand tu reviens de -ton- voyage. Cet amour brûlant pour la géographie, au croisement de toutes les passions, toutes les histoires, tout le monde.
Comme dit mon ami géographe Damien Deville, on a "tous dans le cœur un vieux paysage" et je veux croire à ça. La cartographie que je pratique est pour moi une discipline profondément personnelle où je vous partage de manière graphique ces paysages rêvés, ces lieux oubliés, passés, présents, existants ou non existants, ces sentiments bruts qui irriguent mon cœur par pulsation quand je marche sous les arbres ou sur les chemins...
"Pourquoi fais tu ce travail ?" Finalement, on pourrait être nombreux à donner toutes ces raisons en réponse à cette question, je suis loin d'être unique : agent d'entretien de parc régional, juriste du droit de l'environnement, éleveur en montagne, écologue ou autre spécialiste amoureux des lieux...
Mais sans en faire la raison d'être de son métier, je suis convaincu que c'est la chose qui peut tous nous unir face au chaos à venir, celle qui peut mettre d'accord tous les membres de la grande famille humaine : la puissante, profonde beauté de la nature et la nécessité de la protéger devant des assauts qui la mettent en danger existentiel et qui, plus que jamais, servent une infime minorité. Cette minorité qui ne peut pas comprendre ce dont je parle ici, j'en suis sûr.
Photos d'un voyage au Royaume-Uni, mai 2023.
Hier j’ai plongé…
C'était ma septième plongée dans les eaux magnifiques de la Rade de Brest, à l’extrême ouest de la France. C'était aussi la plongée la plus magique de toute : descente à 20 m près d'un rocher nommé la Cormorandière où se pavanent... des cormorans, bien sûr.
Sur notre bateau, on règle son gilets, on enfile ses palmes, on met le détendeur en bouche et c'est parti. Eau à 14°C, on est à l'étal : le courant est faible, tout est bon pour la descente.
Arrivés au fond, nous attend un spectacle incroyable permis par une visibilité remarquable. C'est rare. Les eaux bretonnes, souvent turbides et agitées, sont peu clémentes avec le plongeur et si elles recèlent de scènes sous marines miraculeuses, foisonnantes de biodiversité, qui n'ont rien à envier à la Polynésie ou au Mexique (je crois mes instructeurs sur parole), c'est commun de ne pas voir plus loin que ses mains une fois sous l'eau.
Pas cette fois : je regarde en silence les majestueux laminaires qui remuent lentement dans le courant, avec tout en haut, en guise de ciel, la surface de l'eau qui brille un peu différemment à chaque vague. On perd la notion de distances et d'échelle au fond de la mer, même à 20 mètres. On a pénétré dans un nouveau Monde que notre équipement nous permet d'expérimenter une poignée de minutes. On ne peut pas se lasser de cette sensation.
Autour de ces belles plantes perchées sur leurs rochers, on voit toutes sortes d'espèces : éponges, ascidies, vives, crevettes, nudibranche, roussette, homard, congre... Tant d'espèces qui défilent en seulement 20 minutes.
Sans parler de tous ces poissons que je ne saurais nommer, que je n'ai vus que furtivement. La rencontre n'en a été que plus belle. Au comble de l'émerveillement devant ce monde sous marin, mon coéquipier de palanquée me montre un rocher : un coup de palme et j'y suis. Un poulpe est en train de dévorer une araignée de mer, ça prend du temps. Devant cette scène, je reste toujours sans voix (l'absence d'air n'aide pas). Il se passe tellement de choses sous cette surface lisse, parfois bleue, grise ou verte selon la météo, des choses qu'on peine à imaginer et concevoir depuis la terre ferme.
C'était mon rappel que c'est ce vaste territoire bleu qu'on doit protéger à tout prix. Celui qu'on voit sur la carte, qui part de Brest pour aller jusqu'à Manille, puis au Cap, en Alaska et au Chili. Ce territoire de vie blessé par les filets de notre pêche et nos chaluts, par les microplastiques de nos pneus, par le carbone de nos industries... Impossible de penser à autre chose à – 20 m, immergé dans ce milieu liquide et émerveillé par toute ces formes de vies complexes et fragiles autour de moi.