LE NIGER
Voilà le fleuve qui m’a donné l’idée de commencer cette série de portraits botaniques où je représente les arbres comme des rivières. Je lisais à ce moment un livre évoquant les aventures du malheureux Mungo Park, un explorateur écossais de la fin du 18e siècle qui se propose pour aller explorer le mystère que représente ce fleuve pour les européens : il est en effet sujet de toutes les hypothèses, tous les fantasmes tout comme la ville de Tombouctou située sur le tronc du fleuve et connue des européens pour ses richesses immenses lorsque la ville est au sommet de sa gloire. Ce n’est qu’au 19e siècle que les européens localisent exactement Tombouctou et comprennent que ce qu’ils prenaient pour plusieurs fleuves différents étaient en fait un seul et même fleuve : le Niger, troisième plus long cours d’eau d’Afrique après le Nil et le Congo.
Le fleuve n’a toutefois pas perdu en magie : situé à l’interface entre le monde saharien de l’Ouest, celui des touaregs notamment, et celui de l’Afrique subsaharienne de l’Ouest il a fait porter son nombre sur nombre de royaumes et d’empire (Kumbi Saleh, Haoussa l’Empire Mali, Ghana et Songhaï) et la diversité linguistique et ethnique de la région reste exceptionnelle. La structure de l’arbre, déroutante s’il en est a fait tourner en rond les géographes et explorateurs européens pendant des siècles, eux qui voyait à l’horizon de leur Monde connu la cime du fleuve. En effet, le fleuve débute sa course vers le Nord-Est avant de brutalement bifurquer vers le Sud-Est pour ensuite couler sur 4000 kilomètres vers le très peuplé Nigeria et le Golfe de Guinée, après avoir traversé de nombreux pays, certains montagneux, arides ou carrément désertiques.
Comme d’autres fleuve-arbres de la série, le Niger connaît un cycle annuel très marqué avec une longue et intense saison sèche interrompue par une saison des pluies rendant le bassin du fleuve verdoyant et humide – et apportant son lot de maladies, comme celles dont a souffert Mungo Park lors de sa première expédition. Il a néanmoins trouvé la mort lors de la deuxième après une série de mésaventure : captures, attaques des autochtones et enfin la noyade dans le fleuve lui-même ont raison des entreprises de l’explorateur dans ce bel arbre. Cette expédition ouvrant le 19e siècle et suivie de bien d’autre, amorce le début d’un siècle noir pour l’Afrique qui tombe sous l’emprise et l’avidité des puissances européennes.
Un arbre me semble idéal pour représenter le Niger : l’acacia faux-gommier, acacia tortilis. Présent en nombre dans les paysages arides et semi-arides de la région, il est un repère dans les vastes paysages, à la croisée des chemins du Sahel mais aussi symbole de subsistance pour les nombreux éleveurs de bétail, tout en procurant une ombre salvatrice. Sur une note plus visuelle, j’imagine bien l’acacia soumis à la sécheresse croître de manière tordue – comme le cours du Niger – pour aller chercher l’eau là où elle est disponible.