LE MISSISSIPPI
Derrière ce nom au charme unique se cache un imposteur. Car le Mississippi, vu comme fleuve-arbre, dissimule mal son crime : il devrait s’appeler Missouri. Cela saute aux yeux à l’observation de sa structure : c’est bien le Missouri qui forme le tronc principal. Selon les règles de l’hydrologie, c’est le cours d’eau au plus grand débit qui donne son nom après confluence. Et ici, le Missouri, plus long et plus puissant, devrait nommer l’arbre entier. Pourquoi ce manquement ? Parce que les premiers Européens ont exploré l’intérieur du continent en remontant le Mississippi, s’attachant à ce fleuve, alors que le Missouri ne leur apparaissait que comme un affluent. Le “mighty Mississippi”, immense et sinueux, s’est ainsi imposé dans l’imaginaire américain – et dans la toponymie des États-Unis, pays qu’il traverse et divise.
On parle de “the oldest town west of the Mississippi” pour désigner la ville de Ste. Genevieve, et cette même formulation pour se rapporter aux lieux situés à l’ouest du cours d’eau, dans la moitié occidentale du pays, plus sèche, plus rude, plus libre, marquée par l’imaginaire des westerns, de la Silicon Valley ou des parcs nationaux. Cette ville, c’est Ste. Geneviève, fondée par des colons français le long du fleuve. D’ailleurs, le bassin du Mississippi correspond largement à l’ancienne Louisiane française, vendue par Napoléon, vaste territoire hérité, jalonné de toponymes français et d’une diversité paysagère impressionnante. Le fleuve naît dans un paysage de forêt de conifères et de lacs au nord du pays, frôle les Grands Lacs, et s’épanouit grâce à deux affluents majeurs : l’Ohio (sortant gonflé des Appalaches humides) et le Missouri (venu des Rocheuses enneigées). Ses affluents viennent aussi des Grandes Plaines tandis que le cours du fleuve traverse le Midwest, cœur agricole du pays pour terminer sa course dans le sud, dans un entrelacs végétal fabuleux : les bayous de Louisiane, forêts inondées pleines de vie.
Cet arbre a vu naître et périr des civilisations entières : les Mississipiens bâtisseurs de tumulus, les Sioux, Cheyennes, Pawnee, peuples des plaines, les Cherokee, et les Ojibwe, vivant près de la source du fleuve, sur la cime de l’arbre – qui n’est pas vraiment la cime – et à qui l’on doit son nom : Misi-ziibi, soit « Grande Rivière » ou « Père des Rivières ».
Si le Mississippi était un arbre, ce serait pour moi un cyprès chauve. Arbre iconique du sud de son bassin, enraciné dans les zones humides, il pousse dans l’eau, doté de racines aériennes spectaculaires – les pneumatophores – qui émergent en pointes pour respirer. Arbre des crues et des terres détrempées, il incarne magnifiquement cette idée d’Arbre-Fleuve, majestueux, complexe et intriguant.
le cyprès Mississippi, Taxodium Mississippi
le fleuve-arbre au microscope :