LE MÉKONG
C’est sans doute l’arbre le plus étroit de la collection : voici un grand fleuve d’Asie qui, comme beaucoup, naît dans les montagnes enneigées pour plonger ses racines dans les eaux chaudes des tropiques. Surnommé “fleuve des neuf dragons” en vietnamien, à cause de son estuaire à 9 branches, il est en effet redoutable avec un débit le classant quatrième fleuve d’Asie malgré une surface étroite : c’est bien un arbre tropical !
Si la structure de cet arbre rappelle celle du Nil, tout en hauteur et en finesse, sa géographie est tout autre : sa cime se trouve en Chine, dans les froides montagnes du Qinghai, où le fleuve porte le beau nom de Lancang, signifiant “turbulent”. Le Mékong est tellement haut, 4350 kilomètres de long, qu’on ne peut s’étonner qu’il rencontre des turbulences à cette altitude. Les eaux du fleuve ne trouvent du répit qu’à la sortie de la Chine, alors que son lit se situe à 500 mètres d’altitude seulement, contre plus de 5000 mètres à sa source. C’est dans cette région, à mi-hauteur, que le Mékong forme la partie basse de l’arbre, où l’on trouve le gros des 70 millions d’âmes, à la croisée des branches venant de gauche et de droite, du Laos, du Vietnam, de la Thaïlande et du Cambodge.
Il est comme l’Amazone, un arbre refuge pour la biodiversité, avec au creux de ses branches la deuxième plus grande densité d’espèces animales et végétales. On y trouve par exemple le dauphin d’Irrawaddy, un dauphin d’eau douce en danger d’extinction, ou les poissons-chats géants du Mékong, traditionnellement pêchés par la famille royale de Thaïlande, une fois par an !
Si on classait les fleuves selon leur capacité à fédérer ou diviser les peuples, le Mékong serait peut-être de la deuxième catégorie : dotée de nombreuses chutes d’eau et donc peu navigable, la rivière s’est posée dans le paysage historique comme un obstacle plus qu’une passerelle. Un arbre aux branches trop fragiles, ou épineuses peut-être ?
Pour le botaniste qui étudierait les cernes du tronc du Mékong, apparaitraient sans doute les traces du splendide empire khmer (8ᵉ-15ᵉ siècle) mais aussi celles des exactions européennes et américaines du vingtième siècle qui ont laissé des marques visibles, littéralement sur l’arbre : quantités d’explosifs américains continuent à ce jour d’être remontés des eaux du fleuve pour désamorcer de graves accidents.
Le Mékong me fait penser au palmier à sucre, l’Arenga pinnata, un arbre natif de la région du Mékong à la forme élancée très semblable et célèbre pour le vin de palme qu’on en tire, une boisson aromatique et sucrée populaire en Asie du Sud-Est. Une autre caractéristique semble évoquer l’arbre : l’écorce du tronc, pleine d’épines, comme les cascades du fleuve empêchant sa navigation jusqu’au sommet…
Le palmier Mékong, Arenga Mekongensis