LE YUKON
Le Yukon. Pour les Européens comme moi, c’est un de ces noms qui convoquent l’imaginaire, au son duquel des images fantastiques viennent en tête. Aux confins de nos planisphères, parmi les plus hautes latitudes se trouve le fleuve Yukon, un organisme à la vie dure, certes abrité entre deux imposantes chaînes de montagnes blanches, mais gelant chaque hiver, lors de cette saison impitoyable, bien plus longue qu’ailleurs. Lors de cette saison froide, le fleuve entre en hibernation avec un débit très bas, la sève coule au ralenti comme pour économiser la force vitale avant que les beaux jours ne reviennent. À l’été, lorsque les paysages blancs disparaissent sous le soleil, c’est un torrent de vie qui inonde les vaisseaux de l’arbre avec un facteur douze par rapport au débit hivernal ! L’arbre-fleuve Yukon fait d’ailleurs partie de ces forces de la nature qui prospèrent dans des conditions difficiles : un territoire où le sol est gelé en permanence ou de manière saisonnière, sur le pergélisol.
On pourrait croire à première vue que tout l’oppose à l’Amazone ou au Congo, mais ces trois fleuves ont en fait un point commun : ils sont le territoire de peuples autochtones, ou “Premières Nations” au Canada, vivant encore de chasse et de cueillette, pour une partie d’entre eux. Dans le bassin du Yukon, ils sont 70 à veiller sur le fleuve et son état environnemental au sein du conseil intertribal du bassin versant du Yukon, une initiative remarquable où les gardiens ancestraux de ces terres et de cet arbre sont impliqués pour en prendre soin. Le fleuve a besoin de ses gardiens : il abrite une faune remarquable avec notamment trois espèces de saumons, le saumon chinook, le coho et le chum, qui effectuent la plus longue migration de saumon du monde, mais les populations de saumons, prisés pour leur chair très grasse, se sont effondrées depuis 25 ans.
Ce n’est pas la première fois que l’arbre Yukon attire les convoitises humaines : dans ses branches fut trouvé de l’or, à la fin du 19ᵉ siècle. Cela ne tarda pas à déclencher une ruée vers l’or, attirant plus de 100 000 personnes des États-Unis et du Canada, principalement, vers le Klondike, une vallée du bassin du Yukon. Cet afflux initia la prolifération de villes champignons à la gloire éphémère : comme Dawson, même si la plupart des villes de la région doivent leur existence à cette page de l’histoire, une page noire pour les eaux des rivières, entachées de la pollution générée par cette extraction brutale et avide que les populations autochtones ont subie de plein fouet.
Dans le reste de ce bel arbre blanc, on trouve des mammifères en profusion : caribous, orignaux, loups, grizzlis, ours noir, pumas et coyotes arpentent ses branches, marchant dans l’ombre d'épinettes noires, d'épinettes blanches, de peupliers faux-trembles, du bouleau à papier, du peuplier baumier…
À ce sujet : l’épinette noire, Picea mariana, serait un arbre parfait pour le Yukon. Elle est un symbole de la forêt arctique canadienne pour sa résistance au froid – elle pousse aux limites septentrionales de la taïga – et son omniprésence dans la région. Elle pousse sur des sols secs aussi bien que dans des milieux humides et tourbeux, ceux qui sont inondés par les humeurs du fleuve sortant de son lit à son réveil, au printemps. Point bonus : on tire de ce bel arbre un breuvage appelé “bière d’épinette”, consommé de manière courante dans la Nouvelle-France mais aussi de manière plus ancienne par les peuples autochtones.