LE NIL

Le Nil. Fleuve mythique, le plus long du monde, il partage avec le Rhône sa fin méditerranéenne, avec l’Amazone son immensité, et avec tous les fleuves de cette série son statut d’arbre vivant. Mais c’est un arbre étrange, paradoxal : il grossit, s’étoffe puis rétrécit à mesure qu’il coule, presque paradoxal. Il est en fait façonné plus que tout autre par la pluie et la chaleur, ces deux paramètres qui gouvernent autant les plantes que les rivières.

Sa cime naît dans la mousson : lacs, plateaux, affluents puissants comme le Nil Blanc jaillissent dans des paysages tropicaux luxuriants. Plus bas, en descendant dans l’arbre, les branches s’amincissent : le Nil Bleu, le Nil Rouge, parfois à sec une partie de l’année, peinent à maintenir le débit. Certaines disparaissent sous le sable pour renaître avec les pluies : ce sont les wadis, branches fantômes du fleuve. Le Nil traverse des zones où il ne pleut presque jamais, mais où la vie dépend pourtant entièrement de lui.

Ce contraste, cette ligne mouvante entre humidité et aridité, épouse une autre : celle des langues et des cultures. Au nord, l’arabe ; au sud, les langues nilo-sahariennes et bantoues. Le Nil, encore une fois, relie ce que tout oppose.

Sa forme est saisissante : long tronc élancé, partant du lac Victoria et de son houppier d’affluents puissants, jusqu’au delta égyptien, racine large et fragile qui s’enfonce dans la Méditerranée. En chemin, le tronc s’amincit, se vide de ses branches. C’est un arbre de désert, adapté à la sécheresse, qui réduit son activité en saison sèche pour survivre. Le Nil, lui aussi, bat comme un cœur, gonflant à la saison des pluies, s’étiolant ensuite. Ce rythme a façonné des civilisations entières.

Mais les humains ont taillé l’arbre. En 1970, le barrage d’Assouan mit fin aux crues saisonnières. Le battement de cœur du Nil, si vital pour les sols et les récoltes, fut arrêté. Le lac Nasser, vaste mer artificielle, inonda la mémoire du fleuve. L’Égypte antique vivait au rythme du Nil. Rive est : la vie. Rive ouest : les morts. Aujourd’hui, l’Islam et l’énergie hydraulique ont remplacé les dieux et les limons sacrés, mais l’attachement au fleuve reste intact.

Le Nil traverse 11 pays, alimente 257 millions d’humains — un fleuve partagé, disputé, essentiel. Qui du tronc ou de la cime gardera l’eau ? À qui appartiennent les fruits de l’arbre ? Le Nil est politique autant que géographique. Il est la ligne de vie d’une région.

Quel arbre incarne ce fleuve ? Le dattier, sans doute. Arbre du désert, nourricier, son tronc nu s’élance vers une couronne de feuilles : tout comme le Nil, il possède une base sèche et un sommet luxuriant. Il est symbole d’adaptation et de continuité. Arbre-fleuve aux racines profondes et aux fruits précieux, partagé entre abondance et tension.

Le dattier Nil, Phoenix Nilus

le fleuve-arbre au microscope :