L’IENISSEÏ

Voici un fleuve particulièrement méconnu du grand public au regard de ses caractéristiques exceptionnelles, et c’est peut-être à son éloignement que l’on doit cette discrétion. L'Ienisseï est le cinquième plus long fleuve du monde et le roi des fleuves de l’Arctique où aucun autre ne le dépasse en hauteur et en débit.

Les autres fleuves géants de la série, comme le Gange, l’Amazone ou le Nil, font communiquer des milieux que tout sépare – la distance mais surtout les climats et reliefs. L’Ienisseï, elle, ne connaît pas de variation climatique extrême mais mesure 5500 kilomètres de long si on prend comme source les plus lointains ruisseaux mongols qui coulent dans la steppe d’Asie centrale, dans la région la plus enclavée du monde. Oulan-Bator, où coulent des sous-affluents de ce fleuve géant, se situe à 48°N, la même latitude que la ville de Brest où j’écris ces lignes, mais les gouttes de pluie qui tombent au nord de la ville vont faire un long chemin vers les mers glacées du pôle, à 70°N, bien au-dessus du cercle arctique ! 

Ce voyage a des chances de durer longtemps, car sur le chemin vers la mer se trouve le joyau de Sibérie, un trésor de l’Arbre, un fruit glacé : le lac Baïkal, plus ancien et plus profond lac du monde. Pour peu qu’une goutte d’eau s’y attarde, elle pourrait embarquer pour un voyage à 1000 lieues sous les mers, ou plutôt 1642 mètres sous la surface. Le lac, qui contient près de 23 % de l’eau douce mondiale, ferait-il de l’Ienisseï le fleuve-arbre le plus important de notre planète, sinon le plus lourd et volumineux ? Quoiqu’il en soit, le lac Baïkal est une oasis de vie dans la rude Sibérie, avec des milliers d’espèces animales et végétales, dont beaucoup d’entre elles endémiques à sa région, des phoques, des ours, des loups prospérant autour de ce lac qui reste gelé 4 mois par an. Le reste de l'Ienisseï n’est pas en reste : plus au nord, à mi-chemin, elle reste gelée plus de la moitié de l’année. On est loin du Mississippi, artère de communication.

Un arbre incarne bien cet esprit sibérien marqué par les hivers d’une dureté extrême, par l’isolement et le rythme imposé par l’hiver : le mélèze de Daourie, larix gmelinii. Ce conifère aux épines caduques – qui tombent à l’automne, moment où l’arbre rentre en hibernation – pousse sur tout le bassin de l’Ienisseï, sur des sols marécageux comme bien drainés et peut tolérer des hivers inimaginablement froids avec des températures allant jusqu’à –70°C. Il est tout simplement le champion en ce domaine. C’est selon moi, en cette capacité absolument remarquable à survivre là où aucun autre n’en serait capable, qu’il représente le fleuve et sa géographie rude, ses hivers impitoyables.

Le Mélèze Ienisseï, Larix Ienisseica

Et si on regardait le fleuve-arbre au

microscope, avec des fausses couleurs ?