LE GANGE-BRAHMAPOUTRE
Le Gange-Brahmapoutre… Encore un drôle d’arbre ! Regardez ses cimes : l’une est perchée dans les plus hauts sommets du monde, au Népal et l’autre dans le plateau tibétain. Ce fleuve semble avoir repoussé en double tronc, tel une hydre fluviale, capable de se régénérer en embranchements nouveaux. Arbrisseau trapu tourmenté par les vents glacés de l’Himalaya, il relie des mondes que tout oppose : désert froid d’altitude, forêt de mangrove luxuriante, steppe aride, plaine humide et surpeuplée.
Chaque été, les neiges de la cime fondent et rejoignent les pluies torrentielles de la mousson, notamment dans le Meghalaya — littéralement « la demeure des nuages » — où tombent jusqu’à 11,8 mètres de pluie par an ! Ces eaux puissantes, saturées de sédiments arrachés à l’Himalaya, alimentent ce Fleuve-Arbre majestueux de 2,6 millions de km², l’un des plus fabuleux de la planète.
Fleuve-arbre, fleuve-hydre : ce bassin est inépuisable pour les passionnés de géographie ou de culture indienne. Dans les rameaux verdoyants du Gange sont nés l’hindouisme, le bouddhisme, le jaïnisme et quantité d’autres croyances. On y trouve aujourd’hui l’islam, le christianisme, le zoroastrisme… Un syncrétisme unique enraciné dans une terre d’une fertilité exceptionnelle.
Les langues y sont innombrables : des dizaines dans chaque recoin de l’Inde, du Népal, du Tibet, du Bhoutan et du Bangladesh. Un feuillage éclatant, bariolé, formé de centaines de cultures.
Et puis il y a les racines. Le delta du Gange et du Brahmapoutre, les Sundarbans, est la plus vaste forêt de mangrove du monde : une forêt sur des racines, véritable système mycorhizien géant reliant l’arbre à la mer de manière fractale, capillaire, infiniment complexe.
Ces deux fleuves sont sacrés, en plus de ça. Chaque jour, des millions d’Hindous s’y baignent, y déposent des offrandes, y versent les cendres des morts. Le Gange est une mère (Ganga Mata), le Brahmapoutre, un fils du dieu Brahma. Ces religions sont suivies chaque jour par une bonne partie des 630 millions de personnes qui vivent dans les branches de l’arbre, soit 8 % de l’humanité. S’il est si peuple, c’est que cet arbre pousse sur une terre agricole parmi les plus fertiles du monde, façonnée par les crues, les dépôts minéraux, et un climat idéal. Mais aujourd’hui, cet arbre millénaire est menacé : vagues de chaleur, stress hydrique, pollution, montée des eaux.
Quel arbre incarne ce fleuve, sinon le banyan, Ficus benghalensis ? Originaire du sous-continent indien, auréolé de contes et de légendes, il pousse en un enchevêtrement de troncs multiples, sans centre, comme l’hindouisme et son panthéon. Un arbre sacré, tentaculaire, vivant — à l’image du Gange-Brahmapoutre.