LE FLEUVE JAUNE

Le Fleuve Jaune : arbre dragon, fleuve indomptable ! Voici l’autre grand fleuve civilisation de Chine, un fleuve magnifique et terrifiant. Il tire son titre non pas de la couleur impériale chinoise, mais plus simplement de ses eaux tumultueuses et chargées de boue, des eaux plus riches en sédiments que tout autre grand fleuve sur Terre : chaque mètre cube d’eau du fleuve Jaune contient en moyenne 34 kilogrammes de limons, contre un seul pour le Nil, fleuve pourtant connu pour sa charge sédimentaire remarquable.

Ces eaux turbides, appartenant autant au monde de l’eau qu’au monde de la terre, racontent une histoire : une histoire qui débute aux confins du pays, sur le plateau du Tibet, où le fleuve commence son lent et minutieux labeur d’érosion, de transformation et de transport de matière, à l’image de la sève élaborée qui descend des feuilles de l’arbre, chargée de sucres produits par la photosynthèse.

La cime du Fleuve Jaune prend forme là-haut pour amorcer sa transition vers le tronc plus bas, dans le plateau de Lœss, où il ne s’épaissit pas en des proportions amazoniennes – le Nord de la Chine est très aride –, mais où il se colore d’un voile opaque et boueux, répandant la fertilité lors des crues. Le plateau de Lœss tire son nom d’un type de sédiment éponyme, à la teinte beige ou brunâtre, formé par l’érosion éolienne en milieu désertique et périglaciaire. On le trouve en grande quantité dans la région et c’est non sans poésie qu’après une naissance aérienne et une vie terrestre, le sédiment embarque malgré lui vers une aventure fluviale palpitante. 

Cependant, dans cet arbre vit le terrible dragon du fleuve, les deux entités se confondant alors en un être à la fois bienfaiteur et dévastateur.

Les dragons de la mythologie chinoise naissent dans les rivières et y grandissent des siècles en passant par de multiples phases de vies aquatiques pour parvenir à maturité. Il naît sous la forme d’un serpent aquatique, se dote d’une tête de carpe après cent ans, devient une créature anguilliforme parée d’écailles et devient un dragon s’il réussit à remonter les cascades de son fleuve de naissance, parfois appelées “Portes du Dragon” en Chine. Les moustaches sensorielles – rappelant celles du poisson-chat –, les cornes, et les quatre pattes munies de serres complètent la créature qui possède à l’âge adulte, autour de ses 1000 ans, des pouvoirs surnaturels, comme Shen-Long, dragon ailé qui fait tomber la pluie en marchant sur les nuages, fertilisant la terre au passage. S’il marche trop fort, le vent et la pluie conduisent à des catastrophes, si bien qu’il était vénéré pour qu’il marche juste au bon rythme. 10 % de la production agricole dépend aujourd’hui encore de Shen-Long. Il y a aussi Di-Long, le maître des sources et des cours d’eau, vivant dans les cieux l’été et dans la mer l’automne.

Ces mythes fascinants ne font que refléter la géographie du Fleuve Jaune, ce dernier rendant possible une agriculture miraculeuse dans une région au climat aride et aux sols fertilisés par des crues. Ces crues furent au cours de l’Histoire désastreuses en plusieurs occasions, causant des millions de morts lors de violents débordements qui pouvaient déplacer le cours du fleuve, et particulièrement son delta, de plusieurs centaines de kilomètres, comme un dragon qui fouette l’air de sa queue, ondulant de tout son corps dans les airs, mu par une puissance indomptable.

C’est non loin du croisement de la branche de la rivière Wei avec le tronc de l’arbre – vers l’actuelle ville de Xi’an – que la multimillénaire civilisation chinoise est née et a développé ce “trait d’empire hydraulique” qui allait changer l’Histoire et la géographie du continent. Aujourd’hui, l’empire hydraulique est peut-être allé trop loin : le fleuve surnommé “Fierté chinoise” et “Malheur chinois” (selon les saisons et les crues, sans doute) a perdu de sa superbe avec un débit très largement diminué, empêchant pendant plusieurs mois de l’année le cours d’eau de rejoindre la mer.

Comment garder un arbre en vie si on lui coupe ses racines ?

Un arbre ferait un bon candidat pour refléter le Fleuve Jaune : le sophora du Japon, Styphnolobium japonicum, un arbre natif de la Chine, malgré son nom, qui vient des plaines arides qu’entaille le fleuve. On tirait jadis une teinture jaune des bourgeons de cet arbre pouvant atteindre 25 mètres de haut, servant à colorer le papier produit par cette civilisation de grands lettrés, tandis que ses feuilles offraient une décoction pour qui les infusait dans l’eau chaude.

Le Sophora Fleuve Jaune, Styphnolobium Huaghensis