LE COLUMBIA

Voilà un bien curieux arbre que l’on devine tordu, presque tiraillé par la topographie accidentée de la région, qui dessine des branches aux noms trahissant des influences multiples et complexes : francophones, anglophones, et langues indigènes…

Le Columbia est un fleuve qui connecte, un arbre passerelle entre le vaste Pacifique, les grandes métropoles de l’ouest américain et l’intérieur des États-Unis : l’Oregon continental et des états très enclavés comme l’Idaho, le Montana et un bout du Wyoming. Dressé comme une muraille entre ces deux espaces, la majestueuse Chaîne des Cascade et ses strato-volcans s’élève haut vers le ciel et récolte de toute sa hauteur des précipitations intenses, faisant honneur à son nom. Le cumul d’eau qui tombe sur ces monts sont parmi les plus élevés d’Amérique du Nord avec près de 3500 millimètres de pluie par endroit, tandis qu’au delà de ces sommets proches de la côte, plus haut dans l’arbre, c’est un climat plus aride qui règne, dans les plateaux d’altitude. Dans ce milieu aux petites branches sèches, dont le quota en pluie est avalé d’un côté par la Chaîne des Cascades et de l’autre par les Rocheuses, le Columbia et ses affluents coulent franchement, gonflés des pluies des montagnes environnantes et de la fonte printanière des glaciers de la région. En effet, en remontant encore les branches de l’arbre, on retrouve un territoire bien arrosé : les Rocheuses, où la rivière Snake, le principal affluent du Columbia, prend source. C’est ensuite à Kennewick, dans l’état du Washington, où la colombe et le serpent se rencontrent et fusionnent… 

Parmi les fleuves-arbres collectés dans mon herbier, le Columbia n’est pas un géant avec ses 669 000 km²—soit 1,2 fois la superficie de l’hexagone—mais il se hisse toutefois au troisième rang en Amérique du Nord, derrière le Mississippi et le Saint Laurent, par son débit. Puissants sont ces fleuves de montagnes qui permettaient autrefois aux populations de communiquer, de pêcher, aux poissons de migrer pour se reproduire, et aujourd’hui aux centrales hydroélectriques de fonctionner. Le fleuve abrite dans son feuillage une pléthore d’espèces animales et végétales qui ont trouvé refuge dans de nombreux parcs nationaux, comme celui du Grand Teton, le Yellowstone, le parc national de Glacier, le parc national du mont Rainier, et le parc national des North Cascades, pour ne citer que le côté américain. C’est en quelques sortes le pendant nord du fleuve Colorado, un autre concentré d’imaginaire qui donne sa substance à la wilderness à l’américaine.

Un arbre pour refléter ce fleuve ? Le thuya géant, thuja plicata, un conifère natif de la région irriguée par le Columbia. Aujourd’hui présent à travers le monde entier comme espèce ornementale (elle est facile à tailler), cet arbre peut en réalité atteindre une taille considérable—jusqu’à 60 mètres!—comme prospérer dans l’ombre dense de la canopée luxuriante des forêts tempérées humides du Nord-Ouest Pacifique. Bien sûr, les peuples de l’arbre, les Spokanes, Cœurs d'Alène, Yakamas, Wanapums, Nez-Percés, Shoshones, Chinook, ou encore les Palouses, l’ont mis à profit pour toute sorte d’artisanat du quotidien, mais aussi pour les célèbres totems, objets rituels centraux de la spiritualité de certains de ces peuples.

le Thuya Columbia, Thuja Columbiana