LE COLORADO
Le Colorado, fleuve-arbre, arbre-livre ! L’histoire géologique de ce fleuve emblématique des États-Unis est fabuleuse : Il a contribué à créer, à la seule force de ses branches, non pas un seul canyon prodigieux – le très célèbre Grand Canyon – mais plusieurs : le Glen Canyon, le Cataract Canyon, le Ruby Canyon ou encore le Marble Canyon. Ces canyons sont de véritables livres ouverts sur la géologie de notre planète, un peu comme des cernes d’arbres vieux de centaines de millions d’années que l’on pourrait lire pour connaître les climats passés, la faune et la flore disparues… Le
Grand Canyon est immense, à l’image de l’arbre monde à qui il doit son existence : de 1600 mètres de profondeur par endroit, il mesure 450 kilomètres de long et fait près de 5000 km². Le Colorado, avec ses branches acérées, entaille les roches à la manière d’un tailleur virtuose. Il dévoile la course du temps géologique à mesure de son chemin : la roche est érodée par le passage de l’eau et le lit du fleuve s’enfonce dans les strates géologiques au fil de l’eau, pour toucher des roches vieilles de 1,7 milliard d’années !
Le Colorado est un de ces géants qui a exercé dans l’imaginaire nord-américain un puissant pouvoir d’attraction avec la beauté des paysages que l’on trouve le long de ses branches et le symbole qu’il représente. Mais au-delà de cette image touristique, qu’y a-t-il ?
Il est tentant de rapprocher ce bel arbre endémique du Sud-Ouest américain au fleuve Jaune : lui aussi doit son nom aux couleurs de ses eaux tumultueuses et riches en sédiments – colorado veut dire coloré en espagnol. Lui aussi a permis la vie dans un milieu impitoyable et enfin, lui aussi est un arbre au tronc affaibli, aux racines qui s’étiolent : les humains lui ponctionnent tant de sève qu’il ne parvient guère à atteindre la mer.
Les hivers de moins en moins enneigés et les étés toujours plus torrides, couplés à l’appétit vorace des humains et à leurs cultures irriguées implantées en aval du fleuve posent un vrai problème pour les 40 millions d’Américains et les 28 tribus autochtones qui dépendent de cette eau. Depuis plus d’un siècle, le fleuve a soutenu une croissance rapide de l’économie du Sud-Ouest du pays. L’agriculture et l’énergie produite par les barrages hydroélectriques sont de vrais moteurs mais attention à ne pas scier la branche sur laquelle on est assis. La carte le montre bien d’ailleurs : certaines branches, des parties entières de l’arbre même, sont fragiles et dormantes, sans vie une bonne partie de l’année et ne se gorgent de sève et de vie qu’au printemps. Couper ce flux vital et gare aux conséquences.
Les nombreux peuples autochtones ayant évolué dans le rameau de l’arbre – comme en témoignent les quelques noms que porte le fleuve – peuvent en témoigner : certains ont vu leurs célèbres cités bâties à flanc de falaise péricliter subitement après avoir trop usé des ressources en bois ou après avoir subi d’intenses sécheresses. Les Shoshones, Païutes, Utes et Monos – peuples indigènes du “Grand Bassin” – le savent : quand la vie ne tient qu’à un fil (d’eau), il ne faut pas trop tirer dessus.
Le saule de Goodding, Salix gooddingii, ferait bonne figure pour représenter le Colorado. L’espèce est native du Sud-Ouest américain et nommée en l’honneur de Leslie Newton Goodding, un botaniste américain du 20ᵉ siècle considéré comme le plus grand expert de la flore du Sud-Ouest du pays à cette époque. En sus, l’arbre se plaît près des rivières, dans les terres humides gorgées de l’eau des montagnes et des canyons tandis que son tronc à la texture rude et brute, rappelant la nature brute du fleuve, est prolongé par des branches fines et graciles, rappelant quant à elles les fins rus de montagne au débit limité par le climat.