28 mai 2054,

Je prends un aller simple Brest - Rio de Janeiro

Date d’arrivée prévue ? Dans quelques semaines.

  • Bienvenue à bord ! Départ dans 10 minutes

  • Posez vos affaires dans votre couchette et installez-vous : le navire va partir

  • Voici la vue depuis le hublot de votre cabine

  • Vous n'êtes pas le seul à partir en vacances !

  • C'est l'aube d'un nouveau Monde !

Brest, Port Monde

Une carte touristique d’un Monde post-avion

 Nombre d’entre vous avez sans doute déjà pris l’avion pour vos vacances, et après tout, quoi de plus normal : nous sommes bombardés de publicités nous encourageant à partir à prix réduit, fracassé, tandis que la société valorise les vacances lointaines et que notre modèle de travail dominant ne laisse pas de place à un mode de voyage lent, laissant aux gens le loisir et le bonheur de partir plusieurs semaines ou mois. Dans cette équation – peu de temps et destination lointaine, exotique – l’inconnue est forcément l’avion.  Mais il s’agit de changer un des deux paramètres, ou même les deux, pour la navigation devienne un choix de déplacement qui tombe sous le sens ! 

Pour parvenir à cette transition, il y a d’une part un besoin urgent de décarboner nos déplacements –un aller / retour Paris New York émet 2 tonnes de CO2 par personne, beaucoup trop pour respecter la plupart des engagements climatiques– et de l’autre le besoin de changer nos rythmes de vie pour y mettre plus de flexibilité, d’aventures longue durée et de lenteur. Il y a un dernier besoin, peut être moins pressant mais il existe : celui d’éprouver à nouveau le bonheur du cheminement plutôt que celui de la destination, le plaisir du chemin parcouru constituant déjà un périple contrairement à l’avion, qui s’assimile plus à la téléportation qu’au voyage.

Bref, il y a du chemin à faire. Mais imaginons ensemble à quoi ressemble le bout de ce chemin.

La mer passe d’espace périphérique
à celui de centralité, d’interface

Dans ce futur proche où un changement profond du rapport au voyage s’est opéré, les vacanciers choisissent le bateau pour se rendre dans l’hémisphère sud ou sur les côtes australiennes pour leurs vacances de longues durées. Tout changerait, y compris la première étape du voyage.

Étant brestois, lorsqu’on veut prendre un avion pour partir vers une destination exotique, il faut aller à Paris, et donc passer au moins 8 heures sur la route, plus une ou deux heures pour aller du centre à l’aéroport Charles de Gaulle. Avec des terminaux de départ dans le port de Brest, le temps de déplacerait passerait à 20 minutes. La mer passe d’espace périphérique à celui centralité, d’interface, de lieu connecté, comme autrefois lorsque les grandes villes côtières de l’Atlantique était des points de passage obligés, pour scientifiques, touristes, immigrants.

Une fois cette première étape accomplie, que vous soyez un heureux brestois venu à pied ou un parisien fatigué du trajet en bus ou en train débouchant sur le Grand Terminal du Ponant non loin du port, il vous faudra trouver votre terminal d’embarquement. Ils sont au nombre de 4 : le Terminal Europe, le Quai des Amériques, l’Embarcadère Asie & Afrique et la Porte Océane, qui desservent chacun une grande régions du Monde. Chaque terminal fait refléter dans son architecture, son ambiance, ses langues et ses navires des lieux lointains avec en arrière plan les rives de la Rade de Brest et ses eaux argentées.

Plus de 58 destinations

Cette carte éditée par la très fictive “Compagnie de la Penfeld”, descendante de Air France, s’inspire de multiples documents : une carte de l’empire Britannique ou plus généralement des cartes de compagnies aériennes par exemple. On y retrouve Brest, en majesté, connectée par les mers à 58 destinations sur tous les continents, y compris l’Antarctique, faisant honneur aux liens de la ville avec les pôles. Les villes européennes et les DOM-TOM sont naturellement bien connectées et la fréquence de départ depuis Brest va en décroissant avec la distance. Il faut imaginer qu’en France, dans ce futur,, peu de ports assurent ce rôle de port  vers le reste du Monde : Brest et Marseille dans mon scénario. Les navires partant de Brest vont vers le Monde entier à l’exception de la Méditerranée, que Marseille dessert. 

Le voyage étant forcément plus long qu’en avion, il faut compter des escales si vous souhaitez vous rendre en Inde ou à Los Angeles : à la manière d’un bus, à chaque arrêt le long des côtes, le bateau se charge et se déchargera en passager brassant les nationalités à chaque port. Depuis chaque port offrant des correspondances – comme la Réunion, les Açores ou encore la Guadeloupe – , les touristes sont ensuite libres de continuer leur voyage toujours plus loin, y compris dans les terres.

Des navires rétrofuturistes

N’étant pas ingénieur naval, j’ai tâché d’imaginer de manière à peu près réaliste à quoi ressembleraient et comment marcheraient ces vaisseaux brestois sillonnant les sept mers en permanence. En un mot : le vent. C’est le “rétro” dans “rétrofuturiste” (ça, et le concept même de voyager sur un navire). Le vent, ce vieil allié. C’est lui qui va faire arriver les navires à bon port, grâce à leurs voiles techniques à la forme optimisée, comme on en trouve sur les navires de compagnies de voyage existantes dans la vraie vie. Là où l’on rentre vraiment dans le “futurisme”, c’est quand il s’agit de faire avancer le bateau contre le vent : pas question de les propulser au fioul, on irait à l’encontre du projet. Je vais sortir ma carte joker fiction et proposer comme explication à ces beaux panaches de vapeur sortant des cheminées, des minis réacteurs nucléaires propres. Quel intérêt de faire une carte fictive si on ne peut pas rêver ?

Voici les trois navires étendards de la compagnie, alliant voiles et moteurs puissants : le Ponant, le Morlenn et l’Armorique, qui peuvent transporter des centaines de passagers à leur bord, proposant un niveau de confort inégalé pour voyager autour du Monde avec classe. Ils sont inspirés de magnifiques navires historiques tels que le Great Eastern ou le SS Great Britain mais remis au goût du jour pour nos questions de voyage et de tourisme.

Tactique publicitaire pour révolutionner les imaginaires

Les publicités de compagnies aériennes, pour des vols en Europe notamment, sont monnaie courante : télévision, réseaux sociaux,  affichage public, magazines. Ces publicités s’acharnent à vendre cette expérience d’un Monde à toute vitesse et d’un tourisme éco-suicidaire qui propose d’aller admirer la beauté des paysages andins en contribuant à leur déclin par le simple fait de s’y rendre en avion.

Et si on détournait ce canal, la publicité et ses leviers psychologiques puissants, pour inonder les lieux et les esprits de cette nouvelle proposition de voyage ? N’oublions pas que ma carte tire son inspiration de publicités créées par les compagnies aériennes ou encore d’un document de propagande de l’Empire Britannique, avec pour but lui aussi, de convaincre par l’image et la mise en récit. 

Une note de nuance : les beaux navires sont une excuse, un prétexte, une belle image pour parler de ce futur génial ou le voyage devient fantastique. Il est certain qu’on peut aller vers cet idéal sans nécessairement ressusciter l’âge de la voile que je romantise un peu ici, il faut le dire. Il serait en fait illusoire de croire que la solution inclut nécessairement le voyage en bateau, seulement voilà, l’image du trois-mâts partant du port, voiles déployées avec toute cette énergie humaine à bord est simplement trop belles pour ne pas être utilisée pour ce récit.

Homo itineris, espèce voyageuse

Notre espèce est une espèce voyageuse. La propagation des premiers humains hors d’Afrique tropicale pour coloniser des régions tempérées, froides, arides, des plateaux d’altitude, des îles lointaines il y a des milliers d’années nous le prouve bien. Nous avons été, de manière importante il y a encore quelques siècles, une espèce nomade, pour laquelle la vie entière était un voyage. Ces humains suivaient le rythme des saisons et les ressources dans la nature. Ils n’étaient pas si éloignés de quelques espèces que j’ai fait figurer dans la carte  : sternes arctiques, tortues de mer, baleines bleues, papillons monarques et cigognes, des espèces qui parcourent jusqu’à des dizaines de milliers de kilomètres par an. Il est bon de se rappeler de notre animalité, savoir d’où on vient pour savoir où aller. Cliché, je sais, mais comme il s’agit d’une carte de voyage, il est toujours bon d’y penser.

Revenir – au moins en partie – vers cet état de nomadisme, cette vie faite de migrations saisonnières, devenir Homo itineris en fait, pourrait être un moyen puissant de se reconnecter à la nature, aux mille géographies de notre planète. La sédentarité est un problème sanitaire croissant  : obésité, mal-être mental, isolement. Cependant, nous aurions aussi beaucoup à gagner spirituellement, intellectuellement et émotionnellement d’un monde où le voyage devient un trait quasi biologique, une pratique commune, accessible, démocratisée et vertueuse, ce que permettrait le scénario que j’illustre.

Il semble nécessaire de recréer un monde où le voyage renoue avec cette histoire d’itinérances et de nomadisme de nos ancêtres, cet émerveillement continu le long de la route. Au-delà des aspects environnementaux qui sont implacables et chiffrés, il faut proposer une nouvelle vision du voyage et mettre les voiles vers ce monde où elle s’est réalisée  !

“Le vent se lève, il faut tâcher de vivre”

Paul Valéry